Commencer petit – l’histoire du Bec Hellouin
By Sam Allen 27th November 2017
Perrine et Charles Hervé-Gruyer ont décidé de passer à l’agriculture à faible impact en 2006. L’initiation a été longue et délicate, lui était marin, elle avocate en droit international, leurs efforts pour faire pousser fruits et légumes sans tracteur ni engrais ont plus souvent qu’à leur tour été tournés en ridicule. Aujourd’hui, leur ferme du Bec Hellouin en Normandie est un des centres de permaculture le plus repéré et important en France. Les chercheurs s’y intéressent parce qu’ils ont prouvé qu’un maraicher en permaculture pouvait gagner un salaire correct sur un terrain de 1 000 m². Leur livre, « Guérir la terre, nourrir les hommes », a été récemment publié en anglais.
Alexis Rowell, ancien fidèle du mouvement de Transition britannique et écrivain du livre de Transition sur les collectivités, les ont interviewés pour Transition Culture.
« Small is beautiful ». Il faut faire tout petit mais très soigné. Le gros piège c’est que les gens, ils voient toujours trop grand. Et nous on voit bien que plus c’est petit et soigné, mieux ça marche.
Qu’est qui vous a motivé à devenir agriculteurs ? Charles tu étais marin, Perrine tu étais avocate internationale ; c’est quand même super loin du monde de l’agriculture.
Charles : Personnellement j’avais toujours rêvé d’être paysan, mais comme j’étais Parisien tout le monde m’a dit mais non les petits Parisiens peuvent pas devenir paysans donc à défaut je suis devenu marin. Et quand j’avais mon bateau-école on a partagé la vie de beaucoup de communautés paysannes, dans les pays du sud plutôt, et c’est vrai qu’après des années et des années de partage avec ces paysans j’étais presque jaloux de cette intimité qu’ils avaient avec la nature. J’espérais moi-même a retrouver cet intimité avec la nature. Et avec Perrine on avait un désir d’engagement, de faire quelque chose pour la planète, pour l’humanité sans se prendre trop pour sérieux.
Perrine : On a opéré notre transition personnelle et familiale ensemble, et la première porte par laquelle on était rentrée c’était celle de l’autosuffisance. Ça me plaisait beaucoup. Produire la nourriture pour la famille qui n’était que deux enfants – maintenant on est quatre – faire un maximum de choses par nous-mêmes, les produits d’entretien, des cosmétiques, les produits d’hygiène – c’était ça un petit peu l’ambition. En 2006 Charles me dit qu’il a vraiment envie de travailler la terre et moi je lui ai dit ben fais ça et moi je ne voyais absolument pas le truc, je ne m’y voyais pas tout simplement, je me suis dit c’est une lubie, ça va lui passer. Et il a persévéré et c’était tellement difficile et il y avait tellement de choses à faire, je suis quand même lui donner un petit coup de main, et du petit coup de main on est passé à l’investissement total sans que je sois complétement épanouis au départ. Certes on était en agriculture biologique, certes on était en traction animale, mais ça manquait de sens pour moi. De 2006 à 2008 c’était cahin, caha, en 2008 au hasard d’un email on découvre la permaculture et la ça prenait du sens parce qu’on réconciliait notre envie d’engagement à 100% mais pour une cause.
Il n’y a pas beaucoup d’agriculteurs qui sont aussi politiciens et éducateurs que vous. Toi, Perrine, tu es même devenu un élu local. Et toi, Charles, tu es naturellement doué pour la transmission.
C : J’ai eu beaucoup de mal à trouver ma place dans la vie. J’adore explorer, sortir vers des territoires pas encore trop fréquentés, mais pour moi l’aventure n’a de sens que si elle est partagée. Et avec la ferme tout naturellement c’est aussi ce qu’on a fait. On ne s’est jamais réveillé un matin en se disant « on va vendre, on va faire une ferme innovante, on va faire des formations, on va communiquer auprès des médias, on va faire des recherches scientifiques », c’est venu vers nous parce que les gens nous ont demandé de faire ça. Mais quelque part ça nous correspondait aussi.
P : On ne va pas être du genre à aller faire une manifestation ; la manifestation on va la faire ici. Pendant des années on n’a pas mis le nez en dehors de nos murs, on avait oublié de se mêler à la communauté. Ce message qu’on porte ce n’est pas une volonté de le déclamer. Même mon expérience politique je n’en aurais pas fait carrière, c’est pas ça, ce qui m’amusait juste c’est de faire bouger les lignes ponctuellement, mais notre engagement plus fort c’est sûr qu’il est là, je pense pas qu’on puisse le faire mieux différemment en ce qui nous concerne. Ça corresponde à nos personnalités.
C : J’ai toujours cherché à vivre mes rêves et le fait de vivre mes rêves ça a été chouette pour moi et finalement, ça a été aussi positif pour d’autres gens. Comme dit un copain-maraicher : « Les utopies c’est comme les épinards, ça réduit beaucoup donc il faut en mettre beaucoup dans sa vie » !
J'ai toujours cherché à vivre mes rêves et le fait de vivre mes rêves ça a été chouette pour moi et finalement, ça a été aussi positif pour d'autres gens. Comme dit un copain-maraicher : « Les utopies c'est comme les épinards, ça réduit beaucoup donc il faut en mettre beaucoup dans sa vie » !
Qu’est-ce qui vous a surpris le plus depuis le début de cette aventure à la ferme ?
P : L’impact qu’a le projet qui finalement. Il y a quelque temps de ça encore, moi j’aurais dit qu’il était sur évalué, il était sur dosé par rapport à ce que c’était vraiment. Parce que nous au quotidien on est dans nos galères, on est dans le côté difficile. On a des aventures géniales mais difficiles aussi à tout point de vue. On gère une équipe, ils ont beau être formidables ça ce n’est pas facile tous les jours, on gère des jardins ; on a été éloignés des jardins à un moment donné pour gérer tout le reste et c’était difficile de lutter contre la dispersion qui était un piège à chaque moment. Mais aujourd’hui quand on peut prendre un petit peu de recul après tout ce qu’on a vécu, moi mon mandat aussi, le fait de porter notre parole un petit peu plus loin avec la médiatisation. Quand on voit l’impact que ça a aujourd’hui, quand on voit les gens qui viennent en formation comme ils repartent boostés et comme ils nous boostent nous. Quand on voit les projets qui commencent à émerger à droite à gauche, on se dit que ça aurait été dommage en fait de ne pas le faire.
Et toi, Charles ?
C : Je suis totalement d’accord. Mais après ce qui me frappe aussi, c’est l’évolution si rapide de la nature autour de nous au sein de la ferme. Parce qu’on est parti d’un milieu où la terre était très pauvre, il y avait juste de l’herbe, et en fait, j’ai trouvé que la nature répondait très vite à notre intention. C’est à dire que nous, on cherchait à aller dans le sens de la vie, on cherchait à mettre notre intelligence d’être humain au service de l’épanouissement de la nature et quelque part c’est comme si l’énergie de la nature et notre énergie convergeait vers plus de luxuriance, plus d’abondance, plus de vie en fait et que du coup ça allait très vite. Et que malgré notre inexpérience on voit à quel point cette ferme s’est transformée en à peine dix ans d’un champ tout nu à une sorte d’éco-agro-système très riche en fait et qui surprend aussi les scientifiques. Donc je me dis quelque part, il y a une capacité de réparation de la planète plus rapide que ce qu’on pourrait croire à la lecture des seuls rapports scientifiques. Ça donne de l’espoir pour les générations à venir.
Ça a quelle importance cette communauté du Bec par rapport à vous. Car Transition, c’est surtout un mouvement communautaire, et vous avez créé une communauté autour de vous à la ferme, mais qu’en est-il de la communauté plus large ?
P : Alors à l’échelle du village, oui. On est là, on fait partie du paysage. Et on a vu qu’au fur et à mesure des années la confiance s’installe. Tu vois, moi je suis au conseil municipal maintenant. C’est eux qui sont venus me chercher pour être conseillère régionale. Donc ils nous ont fait cette confiance-là. Ce n’était pas évident parce qu’au départ ils nous voyaient un petit peu comme des parisiens. Tous les gens qui ne sont pas d’ici, qui viennent d’ailleurs sont parisiens ! Et donc ils ne savaient pas trop ce qu’il en était. Plein de bruits circulaient comme souvent plus ou moins erronés sur qui on était et ce qu’on voulait faire. Ils ne savaient pas trop. Ils avaient compris qu’il y avait une ferme mais ce n’était pas évident le bio à l’époque quand on a commencé ici, c’était prfouuu !!!
Tu avais les petits papis, quand on faisait les premiers marchés, qui disaient « mais moi le bio ça me rend malade » ou « ça veut dire quoi ? C’est un truc de bobo ». Donc ça, ça n’a pas forcement touché les gens au tout début. Maintenant, au sein du village, ça y est on commence à être connus. Ils voient qu’on crée de la dynamique économique, on fait partie du truc, et ils étaient terrorisé quand on a annoncé au conseil municipal qu’on allait réduire en 2018 le nombre de visites guidées, parce qu’on fait vivre un nombre de personnes autour. Pourquoi le village passe à la télé ? C’est pour la ferme bio comme ils disent. Les personnes qui vont pas acheter des produits bio ou qui ne vont pas chez un producteur direct vont pas nous connaitre. Mais ça va venir.
Charles, je crois avoir lu que tu disais qu’il ne faut pas trop parler de changer le monde en arrivant dans une communauté.
C : La mairie a toujours dit oui à nos projets donc premier point : on ne se fait pas rejeter. Deuxième, tu peux faire le plus beau paysage comestible du monde mais si tu ne crées pas une structure de liens sociaux de valeurs partagés autour ça ne vaut pas grandes choses en fait. L’un de va pas sans l’autre. Après, c’est vrai que la ferme a un impact économique important. Quand on est arrivé l’Abbaye était le troisième site touristique du département. Mais maintenant l’Office de Tourisme reçoive plus de demande pour la ferme que pour l’Abbaye.
Quelle a été votre expérience du mouvement des Villes en Transition ?
P : J’ai fait mon PDC [Permaculture Design Course] en Angleterre avec quelqu’un de Transition Town Lewes et c’est là que j’ai découvert la réalité de ce que c’était le mouvement, que c’était beaucoup de permaculture humaine, qu’il fallait des mois pour changer le système de recyclage par exemple. J’arrivais avec mon bagage d’agricultrice. Je cherchais des solutions. Je n’avais pas encore compris que la permaculture ce n’était pas seulement une solution pour l’agriculture. Et cette expérience m’éclairait quant au fait que comme tous projets c’est de la gestion humaine bien sur donc la permaculture humaine prenait tout son sens.
En France on n’a pas été en lien de près avec le mouvement mais il y a beaucoup de gens qui sont à la tête du mouvement ou investi dans le mouvement de Transition qui sont venus se former ici ou qui nous ont posé des questions a moment donné ou un autre lors des conférences et autres. En Normandie il y a une partie de ce mouvement qui est la monnaie locale et là pour le coup Frederic Sauvadet qui est très proche de nous et de la ferme, il a signé avec la région et tout un tas d’acteurs un deal très important pour dire qu’une monnaie régionale Normande va être désormais reconnu par toutes les institutions et que dans les années à venir on va même pouvoir payer nos impôts locaux avec comme à Bristol. Et là c’est une victoire énorme parce que c’est à l’échelle de toute la région Normande. Et alors qu’ils arrivaient pour l’instant à convaincre assez peu de commerçants et d’entreprises, alors là maintenant ça va aller loin.
Qu’est-ce que vous avez créé comme partenariats à travers votre travail a la ferme ?
C : On a beaucoup de liens avec les institutions. Par exemple, avec les institutions scientifiques ou universitaires. On est souvent sollicité pour participer aux colloques ou conférences. C’est incroyable qu’une toute petite ferme familiale puisse crée autant de liens avec tant d’institutions divers. On ne l’a pas cherché mais c’est plutôt réjouissant. Et je pense que nos institutions sont beaucoup plus capables de bouger qu’on ne croie. Par exemple, au moment du COP21, la femme de Laurent Fabius est venue nous demander de créer un potager permaculturel pour le Ministère des Affaires Etrangères. Je ne l’aurais pas cru ça, tu vois.
Quels étaient les hauts et les bas ?
P : Les très bas c’était le début, les erreurs techniques, les engueulades, le doute. Il fallait faire tout en même temps. Il fallait construire notre couple, faire notre famille, changer de métier, créer la ferme. C’était un peu violent mais c’était un voyage initiatique aussi. La peur de ne pas s’en sortir financièrement : jamais de ma vie auparavant j’avais dû regarder à la fin du mois attentivement mon relevé bancaire pour savoir si on allait manquer ou pas. C’était très nouveau et à gérer ce n’était pas très simple. Et puis les réglages de couples ne sont pas simples. On a tous les deux beaucoup de leadership. Il faut s’accorder. On est très différents…
Vous êtes tous les deux leaders, c’est ça ? Des personnalités dominantes ?
P : Oui ! On est très complémentaires, on n’a pas les mêmes savoir-faire, mais on a souvent du mal à les accorder alors que ça pourrait être extraordinaire. Les hauts : la famille, la ferme, ça fait partir de la construction de notre cocon. Et puis le coté fort aussi c’était la découverte de la magie de la nature et les animaux. Et puis le fait qu’on s’en est sorti malgré tout…
C : On s’est beaucoup engueulé pendant 13 ans mais ça va très bien depuis deux semaines ! [Tout le monde rit !] Je pense que c’est extrêmement intense. C’est comme un bateau. Quand tu galères, tu galères vraiment beaucoup. Mais quand c’est bien c’est juste génial. On sort un peu d’une sorte de normalité moyenne, on a plongé dans les abimes et nous avons eu énormément de moments merveilleux et surtout énormément de rencontres avec des gens merveilleux. On a tout donné. On a été jusqu’au bout de nos forces. On a failli négliger nos enfants…
P : J’ai un petit fond de culpabilité !
C : Parfois on était à la limite. On a été à l’hôpital pour des pathologies assez graves. Mais quand il y avait la guerre, les résistants risquaient leur vie ou d’être torturés. Nous ce qu’on risque à côté c’est rien : un peu de stress, un peu de fatigue, peut-être manquer un peu d’argent. Mais vu l’importance, vu l’état de la planète, on est tous les deux d’accord qu’on a un devoir d’engagement. On ne peut pas rester comme des gros gâtés dans notre vallée heureuse. C’est vraiment dur. On travaille le jour, on travaille la nuit, on travaille le weekend, on donne tout, mais il y a quelque chose qui tient la route.
Vous avez cherché de l’aide pour votre couple ? La permaculture humaine ?
P : Systématiquement.
C : Bien sûr. On était tous les deux psychothérapeutes. On s’est rencontré dans une école de psychothérapie holistique. On a constamment continué à travailler sur nous parce que sans ça on n’aurait jamais tenu la distance. La pression qu’on a subie … on travaille sept jours sur sept sans jamais vraiment prendre de vacances. Mais on est toujours debout.
Votre livre [Permaculture : Guérir la terre, nourrir les hommes] a été récemment publié en anglais et d’autres langues. Ça vous a surpris ?
C : On était étonné quand les Américains voulaient le traduire et puis ont acheté les droits internationaux. Ça va être publié même en chinois ! C’est une grande surprise. Jamais on n’avait l’intention de vendre ce livre dans autant de pays. Nous sommes une petite ferme en Normandie mais on va être lu par des petits agriculteurs en Californie et en Chine. Ça n’a jamais été notre intention.
A vrai dire nous avons retardé le livre pendant des années. Il n’y avait pas de livre en français sur la permaculture quand on nous a demandé d’en écrire. Mais c’est facile d’écrire un joli livre qui inspire les gens. On voulait attendre les résultats de notre étude technique [qui montrait qu’un maraicher en permaculture pouvait gagner un salaire correct (34 000-39 000 € par an) sur un terrain de 1 000 m² en travaillant 44 heures par semaine avec quatre semaines de vacances]. On voulait avoir la certitude que c’était viable d’un point de vue économique. Donc on les a fait attendre quatre ans. On a dit : « Nous, on préfère bétonner notre truc ». Et c’était quand même une belle surprise de voir que ce livre pouvait inspirer les gens partout dans le monde.
Avez-vous quelques conseils pour les débutants de micro-ferme ?
C : « Small is beautiful ». Il faut faire tout petit mais très soigné. Le gros piège c’est que les gens, ils voient toujours trop grand. Et nous on voit bien que plus c’est petit et soigné, mieux ça marche.
P : Il faut prendre le temps pour se former. Il faut prendre le temps de se convaincre ou de se tester au métier, de mettre les mains dans la terre et de vraiment voir ce dont il s’agit. Il y a beaucoup de fantasme autour de ces projets mais il y a aussi une réalité qui est difficile. Ça peut être absolument génial mais ça peut être cauchemardesque quand ce n’est pas fait avec anticipation, avec un bon design personnel et un bon design du site. Prendre le temps de la transition. Se former. Il faut se donner le temps de le faire et être sûr que c’est quelque chose que tu as dans les tripes et pas seulement dans la tête et le cœur.
C : Plus le projet est fou, plus il faut le réaliser sérieusement. Notre projet il est fou mais on est extrêmement sérieux et pragmatique au quotidien.
Comment envisagez-vous vos avenirs ?
C : Si l’on veut rester cohérent, il faut qu’on revienne dans le jardin. On s’est dit qu’il vaut mieux sortir un livre tous les quatre ans que d’accueillir des milliers de gens tout le temps et de ne jamais plus être dans le jardin. Donc l’équipe diminue ; on a fait le choix de ne pas remplacer ceux qui partent. Perrine se charge des arbres, les buissons et les animaux à plumes [canards, poules] et moi je m’occupe des légumes et des animaux à poils [chevaux, moutons, âne].
J’ai une passion aussi pour l’artisanat. C’est ce que je fais les weekends. Et Je pense qu’il y a une connivence évidente entre cultiver à la main dans une logique bio-inspirée, permaculturelle, et travailler les ressources vivantes et renouvelables de notre petit territoire, fabriquer des paniers, travailler le bois, construire des bâtiments avec du bois local, travailler à la forge. Je pense que c’est ça l’avenir. Quand le monde industriel sera bien s’effondré, le monde sera plein de petites fermes et d’ateliers d’artisans. Ça ne sera pas un retour au monde avant l’industriel, ça sera post-industriel, mais qu’est-ce qu’on va s’éclater.
P : Ça faisait des années que je regrettais d’avoir renoncer à notre rêve qui était l’autosuffisance. Ça ne veut pas dire autarcie bien évidemment. Ça ne veut pas dire se replier par rapport à la communauté. Au contraire.
Qu’est-ce que vous attendez de la nouvelle génération ? Par exemple, vos quatre filles seront-elles agricultrices ici au Bec Hellouin ?
C : On sent qu’elles sont vraiment extrêmement sensibles à ces questions d’environnement. Après tout elles ont autant de mal que d’autres teenagers à manger des légumes et elles sont accros à leurs ordinateurs ou leurs téléphones. Mais cette dimension-là leur tient quand même vraiment à cœur. On voit partout que les jeunes ont envie de s’engager. C’est ça qui est formidable aujourd’hui. Il y a des Donald Trumps qui serrent le frein à main, mais il n’y a pas un village du monde où il n’y a pas des jeunes qui s’engagent pour construire le monde de demain.
P : Il y a quand même des gens qui sont prêts à prendre le flambeau. Parfois ils sont plus forts en maraichage qu’en formation, parfois bon pour former mais n’ont pas de projet. Mais former les formateurs c’est important. Ça prend du temps mais ça nous motive beaucoup. J’ai toujours du mal quand on écoute la radio, ou sur les réseaux sociaux, avec les gens qui ne croient pas à la jeunesse. Nous, on est tellement entouré de merveilles … l’intelligence qu’ils ont, la capacité qu’ils ont à s’investir à fond dans quelque chose qui les passionne.
Pour vous l’avenir de l’agriculture c’est la petite ferme en permaculture où on travaille à la main ou la grande ferme conventionnelle de plus en plus mécanisée ?
P : Tout d’abord ce n’est pas les grands contre les petits. Pour moi à la limite que quelqu’un soit grand, mécanisé, avec un grand tracteur qui a un bon moteur qui ne pollue pas, avec des semis sous couvert et une gestion holistique de l’exploitation et des cultures, je n’ai absolument aucun problème avec ça. Je ne suis pas contre les grandes exploitations en soit. Pour les céréales, si l’on continue de les manger, il faut les produire.
C : On n’est pas contre les gens, voyons, on cherche juste à vivre notre rêve. Et notre rêve c’est un beau monde avec de belles choses à manger. Actuellement dans le monde 80% des fermes travaillent totalement à la main. Donc quelque part ce qu’on fait ici, une toute petite ferme non mécanisée, on est un milliard déjà à être dans ce contexte-là. Ce qui est peut-être novateur ici c’est que l’on cherche vraiment à prendre la nature comme modèle et on s’inspire des dernières découvertes scientifiques sur le fonctionnement de la nature. Il y a une potentialité inimaginable le jour où ces techniques très simples mais bio-inspirées commenceront à essaimer près de ce milliard de paysans. Et là il peut avoir un effet levier colossal pour la planète. Chacune de ces petites fermes peut devenir un puits de carbone, une oasis de biodiversité, un lieu où on recrée du sol, un lieu où on recrée de l’abondance pour les communautés locales.
P : Et puis un vecteur de sécurité géopolitique aussi.
C : Oui, la sécurité alimentaire, c’est la stabilité pour les sociétés car elles ne dépendent pas des ressources mondialisées, et donc c’est un vecteur de paix. Et si cet approche bio-inspirée, qui recrée de l’abondance en s’inspirant de la nature, essaime rapidement, peut-être que le scénario catastrophique pourrait être évité. Rien que cet espoir-là, ce qui se passe dans cette minuscule ferme du Bec Hellouin, pourrait contribuer à ça, ça nous donne une énergie incroyable.
Le livre de Charles et Perrine, Permaculture – Guérir la terre, nourrir les hommes, est publié en francais par Actes Sud. https://www.actes-sud.fr/catalogue/ecologie-developpement-durable/permaculture